La construction européenne est un grand tabou intellectuel. La réflexion portera ici sur la prospective et la futurologie appliquée au thème de la construction de l'Union européenne. La notion de risque amène l'interrogation sur les futurs possibles. Dans le domaine de l'Europe, cela revient à se demander si la construction européenne est cindynogène ?
Trois facteurs forgent le futur
La prospective
Rapport prospective / Histoire
Conclusion
Trois facteurs forgent le futur
Le déterminisme
Le hasard
La liberté de choix
Le déterminisme

Il rend compte du futur obligé découlant de déterminismes auxquels on doit se soumettre. Il existe de nombreux déterminismes de cet ordre : la démographie, l'histoire, la tradition commandent l'avenir.

Mais il existe aussi des facteurs moins connus que la prospective doit s'efforcer de rechercher. L'enjeu réside dans la question suivante : comment déterminer le déterminisme ? La langue maternelle, la famille, les valeurs apprises pendant l'enfance, l'épistémê sont autant de représentations du monde mis en lumière par la prospective (cf. par exemple les ouvrages d'Emmanuel TODD sur le poids des structures familiales).

À l'inverse, il arrive que l'on estime inéluctables des évolutions qui ne le sont pas. L'inéluctable est alors le déguisement d'une idéologie, d'une volonté de puissance. Furent ainsi successivement présentées comme scientifiques la théorie des climats, formulée par Montesquieu, puis l'inégalité entre les races humaines ou encore le marxisme-léninisme qui prétendait avoir découvert la Loi de l'Histoire dans la lutte des classes sociales. Or le déroulement de l'Histoire a révélé que ces théories n'étaient pas scientifiques, que rien de ce qu'elles annonçaient n'était inéluctable.

Aujourd'hui, on nous assure que la "mondialisation" ou l'"Union européenne" sont inéluctables. Mais est-ce si sûr ? La "construction européenne" est-elle davantage "inéluctable" que ne le fut la "construction du socialisme" ?

 
Le hasard

Il s'agit du futur aléatoire, de la part d'imprévisible, du "nez de Cléopâtre, qui s'il eut été plus court, aurait changé la face du monde". Quelle place peut-on réserver au hasard dans l'Histoire ? Si tel ou tel événement fortuit s'était passé ou ne s'était pas passé, comment le monde aurait-il évolué ? Sans l'arrestation de Louis XVI à Varennes, qu'aurait été l'Histoire de la France ? Que serait-il advenu si Adolf Hitler avait été fusillé après son arrestation le 1er avril 1927 ? Quel aurait été l'avenir de la Chine si en novembre 1927, Mao Zedong avait été exécuté suite à son arrestation dans le Hunan ?

La part laissée au hasard pose des questions. Mais ne s'agit-il pas de fluctuations de surface sur l'océan de l'Histoire qui n'affecte aucunement ses courants profonds ? S'agit-il d'épiphénomènes, comme le pensent certains ? (cf. Marx, Hegel…)

 
La liberté de choix

C'est le facteur humain.
Cette liberté de choix rend compte de la part du futur qui reste à construire.
Elle pose la dialectique entre les différents facteurs.
Qui fixe les finalités ?
Comment se constituent les idéologies ?
Comment sont arbitrées les doctrines concurrentes qui prétendent commander le futur ?

 
 
La prospective
Une prospective scientifique du futur ?
La prospective : tendances lourdes et faits porteurs d'avenir
Une prospective scientifique du futur ?

On ne peut pas dire que la prospective soit une science. Contrairement à une science, la prospective ne prétend pas parvenir à des conclusions certaines. Elle utilise des procédés disparates, mal définis. Et ne sait pas où elle va.

La prospective se fonde pourtant sur des faits avec une volonté de rigueur scientifique en utilisant une base mathématique (les statistiques), des analyses rigoureuses des situations qui mettent en évidence les interdépendances et les variables-clefs pour construire des schémas élaborés et des modèles.

La prospective doit viser à distinguer les différentes évolutions du futur : le futur n'est pas univoque.

Cette analyse appliquée à la question de la construction européenne pose le problème du scénario : l'Europe évolue sans scénario. Elle suit donc une double évolution, à la fois positive et négative.

 
La prospective : tendances lourdes et faits porteurs d'avenir
La prospective porte attention aux "tendances lourdes" et aux "faits porteurs d'avenir". Les "tendances lourdes" sont l'ensemble des données dont l'évolution future semble déterminée. En revanche, il est difficile de distinguer les "faits porteurs d'avenir". en ayant l'indépendance intellectuelle permettant de s'abstraire du discours ambiant et des phénomènes de mode. Les faits porteurs d'avenir peuvent être peu perceptibles; ils appartiennent à une réalité embryonnaire dont l'importance va s'affirmer avec des répercussions profondes.

Ainsi en 1972, deux chercheurs avaient défini 4 "faits porteurs d'avenir" : le laser, l'informatique, les groupes sociaux marginaux (Hippies…), et les nouveaux modes de télécommunication. 28 ans après, cette analyse ne se révèle qu'à moitié exacte : l'explosion des nouveaux moyens de communications (téléphonie, Internet…) et l'avènement de l'ère de l'informatique avaient été correctement anticipés. Mais que reste-t-il aujourd'hui des mouvements marginaux des années 1970 ? Quant à l'invention du laser, en dehors de la médecine et des lectures de codes-barres, elle n'a pas été la grande révolution technologique attendue.

L'analyse prospective requiert la démarche intellectuelle de sortie des cadres mentaux habituels. Un test permet de saisir ce que sont les limites mentales.

Comment relier ces neufs points par quatre traits sans lever son crayon ? :

La réponse est que ce n'est possible que s'il on pense à sortir de la limite mentale que nous nous étions inconsciemment fixé en voyant l'image : il faut prendre le droit d'imaginer que les traits peuvent déborder le périmètre externe constitué par les 9 points :

 
 
Rapport prospective / Histoire
La perspective entretient un rapport particulier avec l'Histoire.
Cependant il convient de ne pas se laisser piéger.
1er piège : penser l'avenir comme le prolongement du passé
2ème piège : "faire du passé table rase"
3ème piège : succomber au verre grossissant de l'actualité
1er piège : penser l'avenir comme le prolongement du passé

Au début des années 60, personne n'avait imaginé la chute du catholicisme. Au début des années 70 personne n'avait vu venir les chocs pétroliers. Au début des années 80, personne ne jugeait plausible l'effondrement rapide de l'URSS.

En 1976, dans son livre Démocratie Française, le Président Valery Giscard d'Estaing avait justifié la nécessité de "construire l'Europe" par quatre impératifs : contrebalancer les deux Superpuissances (USA et URSS), peser plus lourd face à l'OPEP, face à l'Organisation de l'Unité africaine (OUA), et faire contrepoids au Mouvement des pays non alignés. Valéry Giscard d'Estaing avait appliqué dans sa vision future de la construction européenne une démarche de prolongement du passé.

Mais aujourd'hui la réalité est différente : il ne reste plus qu'un des deux Supergrands depuis 1991;
l'OPEP s'est divisée;
le pétrole n'a plus le même poids économique dans les économies développées;
et que reste-t-il de l'OUA ?
et que dire des pays non-alignés ?

 
2ème piège : "faire du passé table rase"

C'est le risque inverse du précédent.
Il existe de grandes constantes à travers les siècles et les révolutions :
une véritable inertie des comportements des peuples.
Prenons l'exemple du Général de Gaulle qui, tablant sur la pérennité des "peuples et des nations", refusait de parler de l'Union Soviétique et parlait toujours de la Russie, sous les quolibets des diplomates qui juraient que la Russie était morte et que l'URSS était quelque chose d'irréversible..
(cf. Peyrefitte).

 
3ème piège : succomber au verre grossissant de l'actualité

Les innovations, nouveautés et mutations ne sont peut-être pas si radicales que nous le croyons.
Que pèse Internet face au "miracle grec", à l'avènement du christianisme, à la constitution de l'esprit scientifique moderne au XVIIe siècle, à la révolution kantienne, à l'invention de l'automobile, de l'avion ou de la télévision ?

 
 
CONCLUSION

La prospective s'intéresse aux déterminismes et à la liberté de choix mais ne peut rationnellement s'intéresser au hasard.
La prospective est une entreprise difficile : elle associe des démarches de type très diverses et contradictoires entre elles.
Ex : la chute de l'Euro.
Le respect du "politiquement correct" est antinomique avec un vrai travail de prospective qui suppose au contraire la faculté de penser l'impensable.
La prospective doit repérer les "tendances lourdes" et les "faits porteurs d'avenir".La connaissance approfondie de l'Histoire et de la culture des peuples est fondamentale pour les futurologues.
Appliquons cela à l'Europe.

Les "tendances lourdes" du monde contemporain démentent les présupposés de la construction européenne

On nous affirme que nous vivons la fin des États Nations et l'avènement d'un monde multipolaire. Mais le constat est bien différent : entre 1945 et 1995, le nombre d'États à l'ONU est passé de 51 à 188. Les " tendances lourdes " indiquent le contraire de regroupements régionaux : l'ère est à la multiplication des Etats et non à leur fusion.

De même, l'explosion du nombre de monnaies dans le monde nous conduit légitimement à nous interroger sur la notion d'une union autour d'une monnaie unique : l'Euro.

On présente aussi la construction de l'Europe comme inéluctable, car il serait nécessaire d'être grand pour être riche. Pourtant les pays les moins peuplés ne sont pas les plus pauvres :
Quatre des dix pays les plus peuplés du monde ont un PIB/habitant supérieur à 1000 $ américains, mais huit des dix pays les moins peuplés sont dans ce cas. La richesse par habitant ne dépend pas de la taille du pays. Il n'y a d'ailleurs aucune corrélation entre l'appartenance à l'Union Européenne et le niveau d'Indicateur de Développement Humain tel que calculé par le Programme des Nations Unies pour le Développement.

De très nombreux exemples contredisnet l'idée d'une union européenne "sans cesse plus étroite" :

- Les alliances inter-entreprises dépassent le simple cadre de l'Europe.
- L'Allemagne veut diminuer sa contribution financière dans le budget de l'Union Européenne.
- L'Union Européenne est sensée avoir une politique extérieure commune, pourtant elle est dissolue : reconnaissance France/Corée du Nord, Allemagne/Slovénie.
- Le nombre d'étudiants français apprenant l'allemand ou l'italien est en chute libre ( la réciproque est vraie)
- Il y a 800 Finlandais qui vivent en France mais plus de 2 300 000 personnes originaires du Maghreb. Quel historien ou quel démographe peut croire que la France aura jusqu'à la fin des temps la même politique budgétaire, économique, diplomatique, monétaire, etc., avec la Finlande, ou bientôt la Lettonie ou la Turquie, et non avec le Maroc ou la Tunisie ?

Quel scénario ?
Quatre scénarios peuvent être définis.
1. Un scénario rose vif : vers des Etats-Unis d'Europe ( vision d'Hugo, 1848).
2. Un scénario rose pâle : vers une Union Européenne " sans cesse plus étroite ".
3. Un scénario blanc-gris : vers un divorce à l'amiable reposant, par exemple, sur l'échec de l'Euro.
4. Un scénario noir : vers une " chute finale " : fuite en avant avec élargissement du fossé entre la construction européenne et la volonté des peuples.